“Les salafistes sont un danger pour l’image de la Tunisie”
À cœur ouvert, Moncef Al-Marzouki a répondu à nos questions. Sans en éluder une seule. Du danger des salafistes pour la Tunisie, à l’Union du Maghreb arabe, en passant par les perspectives de la Tunisie post-Ben Ali, ce sont des analyses lucides et franches qu’il a livrées aux lecteurs de Liberté. Vendredi matin à 10h, comme convenu, le président de la République tunisienne nous attendait au palais de Carthage. Lire.
Liberté : Comment le président Moncef Al-Marzouki, hier marginalisé, emprisonné et exilé, voit aujourd’hui son pays ?
Moncef Al-Marzouki : Je voyais toutes les difficultés, quand j’étais dans l’opposition, aujourd’hui je vois toutes les difficultés en étant au pouvoir. En tant que président de la République, je vois les frustrations, l’énormité des attentes, les blocages et la mauvaise foi. Le pouvoir n’est pas du tout ce qu’on croit. C’est une école de frustration et de patience. C’est une véritable douche froide, car il va falloir développer d’autres compétences, la résistance à la frustration et la patience. Cela augmente la difficulté, car cela ne peut être géré par un seul homme, un seul parti politique. Dès qu’on a dépassé la joie d’atteindre ce qu’on pensait être le but qu’on s’était fixé, on mesure plus son impuissance et son incapacité. On voit que les ressources humaines et les autres ressources ne suffisent pas pour réaliser les objectifs. On se rend compte que le travail n’est pas facile. Il faut garder l’espoir et continuer le travail sans relâchement.
Votre travail n’est pas aisé et on voit l’ampleur de la difficulté, quand on sait que vous cohabitez avec un Premier ministre islamiste. Comment cela se passe-t-il ?
Oui, c’est là qu’on mesure l’ampleur de la difficulté. Mais, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Car, il ne suffit pas d’un seul point de vue, il faut travailler à plusieurs. Un parti politique ne peut pas gérer seul un pays. L’erreur est tellement facile, et on peut facilement retomber dans la dictature. Une société, c’est éminemment complexe et éminemment dynamique. On ne peut gérer d’un seul point de vue. Il faut se mettre à plusieurs. C’est une assurance contre l’erreur. Donc, la cohabitation permet d’éviter de tomber dans l’erreur.
L’Assemblée constituante devait présenter, le 23 octobre 2012, un projet de constitution et proposer les dates des nouvelles élections. Il n’en est rien pour l’instant, d’où la contestation par certains partis politiques tunisiens de la légitimité des instances dirigeantes actuelles, initialement élues pour une durée d’une année. Pensez-vous que vous allez être prêts pour le rendez-vous électoral ?
Oui, nous le serons ! Vous savez, la Tunisie est un pays résilient. On a vu à plusieurs reprises qu’il y a eu des manifestations et on pensait que ça allait exploser, mais, il n’en fut rien, bien au contraire. Les choses se passent le plus normalement du monde dans le calme, grâce à la sagesse du peuple tunisien, qui sait éviter les pièges.
Par exemple, en avril dernier, il y a eu des manifestations de l’opposition, qui voulait mettre le pays en difficulté, comme cela a été le cas le 1er mai, mais on a eu droit à des manifestations fraternelles. Et parfois, de simples évènements sont grossis par la presse, qui leur donne une ampleur qui dépasse la réalité. En d’autres termes, je dirais que la Tunisie est un pays sage, où la classe politique fait preuve également de sagesse, et que le peuple tunisien a atteint un excellent degré de maturité. La preuve, notre révolution a eu le moins de martyrs, 317 seulement et 2 000 blessés, alors que dans d’autres pays cela se chiffre par milliers. Je suis convaincu que nous allons avoir une très bonne Constitution et des élections régulières et propres, et qu’en octobre prochain, on aura un président stable et un gouvernement stable. À moins d’une catastrophe, que je ne vois pas venir, tout se déroulera bien.
Vous ne croyez pas au danger du courant salafiste qui pourrait passer à un stade de violence ?
Oui, je pense que nous avons tous commis l’erreur de sous-estimer le danger salafiste. On a été surpris par son importance. La nature a horreur du vide, et cette force-là a profité de la situation pour occuper le terrain. Les salafistes ont joué sur la misère du peuple durant le règne de la dictature de Ben Ali pour tisser leurs réseaux. Ils se sont nourris de la répression de Ben Ali et de la conjoncture internationale pour s’imposer. Il reste que la Tunisie est un pays stable, qui a des reins solides, que sont l’armée républicaine, ainsi que la police républicaine. Ces dernières n’ont pas permis au courant salafiste d’atteindre ses objectifs. Ces gens-là ne peuvent pas mettre en danger le mode de vie de la Tunisie. Par contre, ils représentent un danger pour l’image de la Tunisie, car la presse internationale est à l’affût. Elle guette le moindre événement pour l’amplifier et donner une image qui peut être nuisible pour le tourisme. Mais, ils ne peuvent porter atteinte ni à la République ni au mode de vie.
“Femme complémentaire de l’homme” est un recul par rapport au code civil. N’y voyez-vous pas une nette régression ?
Pourquoi parler de régression ? Non, je ne constate aucune régression sur le plan juridique. Aucune loi n’a été modifiée. Les droits de la femme tunisienne demeurent intacts. Rien n’a changé. Les positions des hommes politiques sur la question n’ont pas changé. Donc, il n’y a aucune régression.
Est-ce qu’on ne se dirige pas vers des changements ?
Non, du tout ! En revanche, la presse a tendance à amplifier une déclaration, par exemple d’un imam qui parle d’un retour à la polygamie. Mais, sur le plan des actions législatives ou sociales, c’est zéro. Il n’y a aucun changement. C’est vrai que la presse doit mettre le doigt sur ce genre de choses, mais elle a tendance à amplifier certains évènements auxquels on ne devrait pas accorder autant d’importance.
C’est notamment le cas de la presse européenne. Il y a eu le cas d’agression d’un européen, et cela a été amplifié au point d’en faire un événement, alors que la presse ne dit rien sur les 5 999 000 touristes qui n’ont jamais été agressés. C’est l’amplification de faits anodins par la presse, qui en fait des évènements.
À cœur ouvert, Moncef Al-Marzouki a répondu à nos questions. Sans en éluder une seule. Du danger des salafistes pour la Tunisie, à l’Union du Maghreb arabe, en passant par les perspectives de la Tunisie post-Ben Ali, ce sont des analyses lucides et franches qu’il a livrées aux lecteurs de Liberté. Vendredi matin à 10h, comme convenu, le président de la République tunisienne nous attendait au palais de Carthage. Lire.
Liberté : Comment le président Moncef Al-Marzouki, hier marginalisé, emprisonné et exilé, voit aujourd’hui son pays ?
Moncef Al-Marzouki : Je voyais toutes les difficultés, quand j’étais dans l’opposition, aujourd’hui je vois toutes les difficultés en étant au pouvoir. En tant que président de la République, je vois les frustrations, l’énormité des attentes, les blocages et la mauvaise foi. Le pouvoir n’est pas du tout ce qu’on croit. C’est une école de frustration et de patience. C’est une véritable douche froide, car il va falloir développer d’autres compétences, la résistance à la frustration et la patience. Cela augmente la difficulté, car cela ne peut être géré par un seul homme, un seul parti politique. Dès qu’on a dépassé la joie d’atteindre ce qu’on pensait être le but qu’on s’était fixé, on mesure plus son impuissance et son incapacité. On voit que les ressources humaines et les autres ressources ne suffisent pas pour réaliser les objectifs. On se rend compte que le travail n’est pas facile. Il faut garder l’espoir et continuer le travail sans relâchement.
Votre travail n’est pas aisé et on voit l’ampleur de la difficulté, quand on sait que vous cohabitez avec un Premier ministre islamiste. Comment cela se passe-t-il ?
Oui, c’est là qu’on mesure l’ampleur de la difficulté. Mais, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Car, il ne suffit pas d’un seul point de vue, il faut travailler à plusieurs. Un parti politique ne peut pas gérer seul un pays. L’erreur est tellement facile, et on peut facilement retomber dans la dictature. Une société, c’est éminemment complexe et éminemment dynamique. On ne peut gérer d’un seul point de vue. Il faut se mettre à plusieurs. C’est une assurance contre l’erreur. Donc, la cohabitation permet d’éviter de tomber dans l’erreur.
L’Assemblée constituante devait présenter, le 23 octobre 2012, un projet de constitution et proposer les dates des nouvelles élections. Il n’en est rien pour l’instant, d’où la contestation par certains partis politiques tunisiens de la légitimité des instances dirigeantes actuelles, initialement élues pour une durée d’une année. Pensez-vous que vous allez être prêts pour le rendez-vous électoral ?
Oui, nous le serons ! Vous savez, la Tunisie est un pays résilient. On a vu à plusieurs reprises qu’il y a eu des manifestations et on pensait que ça allait exploser, mais, il n’en fut rien, bien au contraire. Les choses se passent le plus normalement du monde dans le calme, grâce à la sagesse du peuple tunisien, qui sait éviter les pièges.
Par exemple, en avril dernier, il y a eu des manifestations de l’opposition, qui voulait mettre le pays en difficulté, comme cela a été le cas le 1er mai, mais on a eu droit à des manifestations fraternelles. Et parfois, de simples évènements sont grossis par la presse, qui leur donne une ampleur qui dépasse la réalité. En d’autres termes, je dirais que la Tunisie est un pays sage, où la classe politique fait preuve également de sagesse, et que le peuple tunisien a atteint un excellent degré de maturité. La preuve, notre révolution a eu le moins de martyrs, 317 seulement et 2 000 blessés, alors que dans d’autres pays cela se chiffre par milliers. Je suis convaincu que nous allons avoir une très bonne Constitution et des élections régulières et propres, et qu’en octobre prochain, on aura un président stable et un gouvernement stable. À moins d’une catastrophe, que je ne vois pas venir, tout se déroulera bien.
Vous ne croyez pas au danger du courant salafiste qui pourrait passer à un stade de violence ?
Oui, je pense que nous avons tous commis l’erreur de sous-estimer le danger salafiste. On a été surpris par son importance. La nature a horreur du vide, et cette force-là a profité de la situation pour occuper le terrain. Les salafistes ont joué sur la misère du peuple durant le règne de la dictature de Ben Ali pour tisser leurs réseaux. Ils se sont nourris de la répression de Ben Ali et de la conjoncture internationale pour s’imposer. Il reste que la Tunisie est un pays stable, qui a des reins solides, que sont l’armée républicaine, ainsi que la police républicaine. Ces dernières n’ont pas permis au courant salafiste d’atteindre ses objectifs. Ces gens-là ne peuvent pas mettre en danger le mode de vie de la Tunisie. Par contre, ils représentent un danger pour l’image de la Tunisie, car la presse internationale est à l’affût. Elle guette le moindre événement pour l’amplifier et donner une image qui peut être nuisible pour le tourisme. Mais, ils ne peuvent porter atteinte ni à la République ni au mode de vie.
“Femme complémentaire de l’homme” est un recul par rapport au code civil. N’y voyez-vous pas une nette régression ?
Pourquoi parler de régression ? Non, je ne constate aucune régression sur le plan juridique. Aucune loi n’a été modifiée. Les droits de la femme tunisienne demeurent intacts. Rien n’a changé. Les positions des hommes politiques sur la question n’ont pas changé. Donc, il n’y a aucune régression.
Est-ce qu’on ne se dirige pas vers des changements ?
Non, du tout ! En revanche, la presse a tendance à amplifier une déclaration, par exemple d’un imam qui parle d’un retour à la polygamie. Mais, sur le plan des actions législatives ou sociales, c’est zéro. Il n’y a aucun changement. C’est vrai que la presse doit mettre le doigt sur ce genre de choses, mais elle a tendance à amplifier certains évènements auxquels on ne devrait pas accorder autant d’importance.
C’est notamment le cas de la presse européenne. Il y a eu le cas d’agression d’un européen, et cela a été amplifié au point d’en faire un événement, alors que la presse ne dit rien sur les 5 999 000 touristes qui n’ont jamais été agressés. C’est l’amplification de faits anodins par la presse, qui en fait des évènements.
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